Vivre en montagne, est-ce encore possible ?


Parmi les espaces les plus problématiques en matière d’administration territoriale, d’investissement économique et de gestion des ressources, la montagne est celle qui présente le plus de complexité. Sur l’ensemble du territoire algérien, la montagne représente 3,66% de superficie, soit 8 millions d’hectares. Cependant, par rapport aux zones les plus habitées du pays, à savoir la bande allant de la côte aux portes des Hauts-Plateaux, le système montagneux représente 60% du territoire. Il est habité par environ 9 millions de personnes, ce qui représente 32,7% de la population totale du pays. Ces chiffres ont été livrés à la presse lors de l’installation, le 25 septembre 2006, du Conseil national de la montagne par Chérif Rahmani, ministre de l’Aménagement du Territoire, de l’Environnement et du Tourisme. Ce Conseil a pour mission de promouvoir et d’aménager les différentes zones de montagne, de définir les activités spécifiques à cet espace et de coordonner l’action des divers acteurs y intervenant.

Cette structure multisectorielle est aussi appelée à jouer un rôle prépondérant dans la sensibilisation à la notion d’espace montagneux et de définir les conditions d’octroi des subventions sur le Fonds de la montagne dans le cadre du développement durable. Le cadre réglementaire permettant à tous les acteurs de la politique de la montagne d’agir en parfaite symbiose et synergie est le Règlement d’aménagement du territoire des massifs montagneux.

Il y a quatre ans de cela, en novembre 2003, M. Rahmani a présenté devant l’APN un avant-projet de loi sur la protection des zones de montagne. Le texte adopté par l’Assemblée constitue le soubassement philosophique et réglementaire du nouveau Conseil de la montagne installé en septembre dernier. Il vise à compléter les textes portant sur l’aménagement du territoire et à étoffer la législation algérienne en matière de gestion des espaces ruraux. Les zones de montagne constituent des entités écologiques spécifiques sur le plan physique, biologique et humain. Il convient de signaler que l’intérêt des pouvoirs publics pour les zones de montagne remonte aux années 80, du moins pour ce qui est des sous-espaces agro-forestiers. En 1988, un établissement étatique fut crée à cet effet. Il s’agit de l’OAMV, l’Office d’Aménagement et de Mise en Valeur des Terres de Montagne, qui avait pour mission d’aménager ces espaces fragiles et de les mettre en valeur dans le respect de leurs spécificités naturelles. Cet établissement sera dissous quelques années plus tard. L’action de l’État en la matière sera réduite à des politiques par à-coups caractérisées plus par le  »saupoudrage » que par la cohérence et l’efficacité. Même les Parcs nationaux, comme ceux de Belezma (Batna), Djurdjura (Tizi Ouzou et Bouira) et Theniet El Had (Tissemsilt), dont les structures sont pourtant mises en place depuis plus de vingt ans, n’ont pas encore élaboré une véritable stratégie de la montagne. Leur action s’était confinée, jusque dans un passé récent, dans une espèce de  »tour d’ivoire » faisant privilégier la notion de biodiversité dans des zones généralement très peuplées. L’intégration des populations riveraines au développement harmonieux de ces espaces particuliers est une idée récente imposée par la nécessité d’un développement durable. N’oublions pas que certaines wilayas du Nord d’Algérie ont plus de 60% de leur territoire composé de montagnes. Tizi Ouzou, Béjaïa, Skikda, Jijel sont parmi les régions les plus montagneuses d’Algérie avec une pression démographique des plus fortes (densité allant jusqu’à 500 habitants au km2). Les statistiques de la wilaya de Jijel donnent une proportion de 82% de territoires montagneux sur la superficie totale de la wilaya. La frange de plaine littorale allant d’El Aouana à Sidi Abdelaziz voit parfois sa largeur réduite à 2 km.

Les aléas de la gestion locale

Les remous organiques et organisationnels entraînés par les élections locales de novembre 2007 nous replongent dans les complexes questions relatives aux projets de développement local financés sur programmes communaux de développement (PCD). Au même titre que les programmes sectoriels de développement (PSD) managés par les directions de wilaya, les projets communaux font face à certains écueils particuliers au cours de leur phase de réalisation, et, ce, en raison de la non prise en compte de certaines spécificité de terrain. L’exemple des difficultés spécifiques rencontrées par des dizaines d’entreprises dans certains reliefs accidentés du Nord d’Algérie, particulièrement en Kabylie, est censé édifier les pouvoirs publics sur la planification relative à l’inscription des programmes de développement (construction d’immeubles, grandes infrastructures de bases : routes, ponts, adductions d’eau, canalisations de gaz ; installation des équipements publics : poteaux électriques, choix d’assiettes de terrain pour écoles ou autres établissements publics). La contrainte du terrain se présente dans ces cas de figure sous le double problème : la topographie et le foncier. Le premier écueil cité se trouve démultiplié par la concentration démographique, laquelle met dans l’obligation les agences d’exécutions à suivre un tracé peu commode qui épargnerait les habitations. En outre, et c’est là la question la plus épineuse soulevée par toutes les entreprises de réalisation, le coût d’inscription des opérations se trouve généralement en deçà des coûts réels générés par la nature hostile du terrain. À ce niveau, le problème soulevé prend une autre dimension, celle de la manière dont sont conçus et inscrits ces projets. On fait ici clairement allusion au mode centralisé de la gestion de l’économie nationale. Même si depuis trois ans, les Directions de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (DPAT) sont devenues le réceptacle des inscriptions des projets, il semble que l’ancien réflexe soit toujours de mise. Et pourtant le simple bon sens voudrait qu’une piste à ouvrir ou à aménager dans la plaine de Sétif n’ait pas la même enveloppe budgétaire que celle à réaliser à Aït Zikki ou Ighil Ali. Le rendement des engins, la multiplication des virages, la nature du sol, l’ampleur des ouvrages d’art,…etc. influent obligatoirement sur le coût de réalisation. Ce qui est valable pour les voies d’accès l’est encore davantage pour les constructions. S’il se trouve que le coût du mètre carré à bâtir à Draâ Ben Khedda est donné le même sur les sommet de Lakhdaria, c’est qu’inévitablement il y a maldonne suite à une routine de calculs basés sur des schémas uniformes voulus par une centralisation hypertrophiée du pays. Tous les visiteurs des zones de montagne où ce genre de travaux sont effectués peuvent en attester : les sommes englouties dans les terrassements et les murs de soutènement peuvent valoir parfois le tiers, sinon plus, du montant total de la construction. À ces écueils connus dans d’autres pays du monde (Grèce, Italie, Liban,…) se greffent les contraintes du foncier. L’histoire sociologique du monde rural algérien nous apprend que, au moins depuis l’occupation turque, l’État ne possède que d’infimes poches de terres sur les reliefs. La majorité des terres sur lesquelles sont conçus les projets de développement restent dominées par la propriété privée souvent sans titres. Il s’ensuit que les projets publics sont tributaires de l’achat des parcelles sur lesquelles ils doivent être édifiés. Ce qui va encore hausser le coût de ces réalisations. Si la politique du développement du pays est orientée au cours de ces dernières années vers la stabilisation des populations rurales et vers une stratégie de l’endiguement de l’exode vers les villes, elle doit en tirer toutes les conséquences pour payer le prix qu’il faut. Avec les gros budgets alloués aux wilayas, le problème ne réside plus dans les ressources financières. Ce sont plutôt les procédures de classification des régions du territoire national selon les coûts réels des projets qui posent problème. À cette impasse, il n’y a pas trente-six mille solutions ; seule une décentralisation de la décision qui impliquerait les autorités locales et les élus au niveau le plus bas de la pyramide de l’État (communes), auxquels seraient associés les comités de villages et les associations, pourrait réduire ces incohérences de gestion-qui signifient une mauvaise redistribution des richesses nationales- vécues par les populations montagnardes comme une injustice flagrante. Les pouvoirs publics devraient mettre les  »chaussures de montagne » pour se projeter sur le terrain des réalités profondes du pays. Le ministre de l’Intérieur a promis, depuis plusieurs années maintenant, des réformes dans le Codes communal et de wilaya allant dans le sens de plus de décentralisation. Mais ce projet vient d’être renvoyé sine die par M. Zerhouni. En lieu et place, nous avons droit à un nouveau découpage du territoire, dont les détails distillés au compte-goutte ne permettent pas de se faire une idée assez précise des intentions du pouvoir politique et des prérogatives dont bénéficieront les nouvelles entités. N’est-ce pas là une occasion que le gouvernement ne doit pas rater pour aller vers une franche décentralisation qui sortira notre pays du jacobinisme castrateur des années de plomb et participera à l’émancipation citoyenne de notre peuple ?

Entre le revendication identitaire et le besoin de développement

C’est un lieu commun de dire que la Kabylie possède des spécificités qui, loin de la singulariser, la placent dans un ensemble national riche par sa diversité et solidaire par la complémentarité nécessaire des régions composant le pays. Les traits saillants de l’originalité kabyle sont assurément la permanence du fait culturel amazigh matérialisé par la langue- non seulement en tant que patrimoine assumé mais surtout comme pratique effective tendue vers la désir de promotion-, le relief accidenté mais domestiqué par la forte présence humaine et la concentration démographique qui a entraîné une tradition migratoire qui supplée à une faible économie locale.

Tous ces éléments ce sont imbriqués pour donner l’image d’une  »kabylitude » que certains de nos compatriotes et surtout les pouvoirs successifs ont voulu pousser vers l’excentricité.

Dans une situation de jacobinisme castrateur, les valeurs de la spécificité régionale et ses expressions sociologiques sont brandies comme un croque-mitaine qui attenterait à l’unité nationale, argument massue, argutie doit-on dire, de responsables qui ne répondaient de rien tant l’arbitraire et la tyrannie étaient les modes de gouvernement. Il n’est plus, dès lors, étonnant que la région objet de suspicion et de défiance développe ses moyens de résistance, s’assume un peu plus chaque jour et donne l’exemple de bravoure et de passion démocratique pour l’ensemble de l’Algérie. L’histoire de la dernière moitié du 20e siècle et les premières années de ce nouveau millénaire corroborent amplement ce rôle de locomotive joué par la Kabylie, y compris par le sacrifice suprême de ses enfants, dans la revendication des libertés, de la démocratie et des valeurs inhérentes aux droits de l’homme. Sans remettre nullement en cause ces nobles idéaux et la passion qu’ils appellent, la nouvelle génération de jeunes veut aussi s’affirmer par le statut social et le travail. Ce besoin légitime est aussi partagé par la nouvelle élite économique, les capitaines d’industrie et les responsables locaux qui veulent voir exploitées les potentialités naturelles de la région au profit des populations. Ces potentialités ne manquent pas, à commencer par la matière grise qu’il faudra inciter par tous les moyens à s’investir dans la création de richesses. Lors des forums organisés par notre journal au cours des années 2004 et 2005 avec des acteurs économiques et des responsables de la région, il a été démontré que d’immenses gisements économiques créateurs d’emplois, y compris dans certains secteur de pointe, pouvaient suppléer à la pauvreté du sol et endiguer la fuite des capitaux et des cerveaux. La pêche, l’industrie légère, la pharmacie, l’agroalimentaire, l’agriculture de montagne, le tourisme, les services et d’autres créneaux pourront, avec l’intervention des pouvoirs publics-dans la réalisation des infrastructures et équipements indispensables (routes, électricité, AEP, télécommunications,…)- asseoir une dynamique de développement à même d’insuffler espoir à la jeunesse et d’imprimer un minimum d’harmonie dans les structures de la société.

C’est cette relation dialectique-joignant le cœur à la raison- entre identité et citoyenneté, d’une part, et développement social et économique décentralisé, d’autre part, qui conditionnera la promotion des valeurs humaines et l’intégration nationale non seulement en Kabylie mais aussi dans les autres régions du pays.

Pour une politique au service de la société

Terre au relief majoritairement montagneux avec de rares vallées fertiles, la Kabylie abrite une population nombreuse dont la densité, sans commune mesure avec les potentialités physiques de son sol, est la plus forte du territoire national. Contrée de travail et de labeur, c’est un pays austère où tout se gagne par la seule sueur dégoulinant du front. Le travail y est élevé au rang de chose sacrée ; un véritable sacerdoce. La valeur et la qualité d’homme s’acquièrent principalement par le dévouement au travail. Dans les moments les plus durs de l’histoire de la région-guerres, épidémies, sécheresse-ses hommes et ses femmes ont redoublé d’ingéniosité et de doigté pour tirer le maximum de nourriture, d’eau et de matériaux de ces pitons granitiques ingrats.  » Choisir de vivre là, c’est opter pour la difficulté, pas une difficulté passagère, non, celle de tous les jours, depuis celui où vous ouvrez les yeux sur un monde hostile, aux horizons vite atteints, jusqu’à celui où vous les fermez pour la dernière fois. Il y a un pari d’héroïsme, de folie, ou de poésie doucement vaine à choisir cette vie. La montagne où je suis né est d’une splendide nudité. Elle est démunie de tout : une terre chétive, des pâtures mesurées, pas de voie de grands passages pour les denrées, pour les idées. Dans la montagne où je suis né, il ne pousse que des hommes ; et les hommes, dès qu’ils sont en âge de se rendre compte, savent que s’ils attendent qu’une nature revêche les nourrisse, ils auront faim ; ils auront faim s’ils ne suppléent pas à l’indigence des ressources par la fertilité de l’esprit ; la montagne chez nous accule les homme à l’invention. Ils en sortent par milliers chaque année, ils vont partout dans le monde chercher un pain dur et vraiment quotidien, pour eux-mêmes et pour ceux (surtout pour celles) qu’ils ont laissés dans la montagne, près du foyer, à veiller sur la misère ancestrale ; vestales démunies mais fidèles. Quand la force de leurs bras décline, ils reviennent, ils quittent les pays opulents, ceux de la terre fertile et de la vie douce, pour revenir sur les crêtes altières dont les images ont taraudé leur cœur sevré toute la vie « , disait Mouloud Mammeri.

Par cette ultime solution commandant une stratégie de survie, ses enfants ont investi d’autres régions du pays- dans les plaines et plateaux plantureux du Tell et de la steppe-pour gagner leur vie en vendant leur force de travail, en s’établissant artisans ou en exploitant un commerce. Ce mouvement migratoire connaîtra son apogée après la défaite de l’insurrection de 1871 qui a accéléré le processus d’expropriation des Algériens de leurs terres en application des lois du Senatus Consult de 1863 et a rendu possible la  »pacification » du haut pays kabyle. Alors, les Kabyles se rendirent dans les coins les plus reculés d’Algérie et franchirent la Méditerranée par contingents au début du 20e siècle, presque simultanément avec le déclenchement du premier conflit mondial auquel ils prirent part en tant que conscrits du contingent ou mobilisés de force. Sur les terres d’Europe- chantier, usine, ferme, houillère, rail-, les Kabyles auront le loisir de faire montre de leur sérieux, de leur amour du travail et de leur esprit industrieux. L’éclatement des structures traditionnelles de la société entraîné par de nouvelles données induites par le colonialisme, le démembrement de la propriété, les nouveaux horizons ouverts par le système du salariat en Algérie ou dans la Métropole ainsi qu’une démographie toujours croissante dépassant de loin les possibilités réelles de la région, tous ces phénomènes ont conduit à l’abandon progressif du travail de la terre et des métiers artisanaux. Les travailleurs kabyles sont alors entrés dans la nouvelle logique économique imposée par la marche triomphante du capitalisme mondial. De paysan attaché à sa terre et vivant selon la seule logique du bon sens qu’il en tire, la Kabyle glisse imperceptiblement vers le statut de prolétaire, de plébéien et, lors de l’extrême sévérité du marché de l’emploi, il plonge dans le statut de lumpenprolétariat. Cette nouvelle réalité sociale et économique, qui a pris avec l’indépendance du pays, une allure considérable, sera intériorisée et socialisée jusqu’à devenir une donnée naturelle. Aux bienfaits induits par le salariat vont rapidement se greffer les revers de la médaille : la rupture presque consommée avec l’ancien mode de vie (agriculture et artisanat) et la soumission aux aléas de l’emploi moderne. L’aléa le plus visible et le plus dommageable sur le plan psychologique et sur le plan de la cohésion sociale est le phénomène du chômage qui pèse de plus en plus sur la frange juvénile de la société. La destruction du peu de tissu industriel public implanté dans la région n’a pas pu encore être compensé par l’investissement privé qui s’est matérialisé ces dernières années par l’installation de petites unités industrielles, particulièrement dans le secteur de l’agroalimentaire. Une véritable plaie sociale s’ouvre alors, jetant dans la marginalité et le désœuvrement des milliers de jeunes que même l’accomplissement du service national ne délivre pas des serres du chômage. Les incidences sur la vie en société ne se sont pas fait attendre : banditisme, violence, agressions, cambriolage, suicide, phénomène  »harraga », trafic de drogue, constituent la triste symptomatologie du malaise social. A cela s’ajoute le regard peu amène des camarades nourris artificiellement à la rente paternelle de l’euro. Les chemins vers le désespoir et l’autodestruction sont alors grand ouverts. Les événements du Printemps noir et les troubles chroniques qu’ils ont charriés pendant presque deux ans ont quelque peu obscurci davantage les horizons sur le plan social en dissuadant les éventuels investissement créateurs d’emplois dans la région.

Aujourd’hui, les personnalités indépendantes, les acteurs du mouvement associatif et les acteurs politiques bénéficiant encore de quelque crédit en Kabylie, censés être plus conscients que jamais des dangers qui guettent cette région en matière de retard de développement et de menace sur la cohésion sociale, sont plus que jamais interpellés pour sauver ce qui peut encore l’être, lutter de toutes leurs forces en vue de réconcilier la Kabylie avec les valeurs du travail, de créer les conditions d’un développement durable qui respecte l’environnement et les conditions d’exploitation des ressources .

Le cadre de vie: faire son deuil du paradis perdu ?

Outre les multiples problèmes économiques et l’impasse sociale qui grèvent la vie des populations de la Kabylie et particulièrement de la frange juvénile, le territoire de cette région- en tant qu’environnement physique et biotique- est lui aussi est en train de recevoir des coups de boutoir qui risquent de faire passer cette ancienne niche écologique en souvenir d’un paradis perdu. Le comble de l’histoire est que cette chute aux enfers n’est guère la conséquence d’un développement industriel de grande dimension. L’évidence qui risque d’être sous-estimée ou carrément ignorée est que les ressources naturelles sont trop précieuses et l’urgence de leur protection trop pressante pour que la stratégie de leur conservation soient renvoyée à demain. Pourquoi ce que les journaux de proximité désignent- dans le jargon de la presse- comme des  »pages mortes » ne serait pas une actualité substantielle, celle qui fait l’inexorable quotidien des habitants de la montagne et des villages kabyles ? Ces pages contiennent, paradoxalement, l’actualité la plus impérissable, la moins aléatoire et la plus prégnante des femmes et des hommes que le hasard ou la nécessité- les deux ont été intériorisés dans un sentiment indéracinable d’appartenance- ont placés sur ces pitons et ces vallons dont on a tant chanté la beauté et l’exubérance. L’un des signes probants de la manière dont sont gérées les affaires locales est justement le cadre de vie des citoyens. Dans les milieux urbains, la chute aux enfers ne date pas d’aujourd’hui. Les monticules d’ordures garnissant même la périphérie immédiate de certains hôpitaux, les eaux usées dégoulinant le long des murs des bâtiments et les conduites d’AEP jaillissant tels des geysers ne choquent presque plus la vue. L’élu ou le policier, dans un sentiment d’impuissance coupable, ferment les yeux sur ces sites immondes et méphitiques comme n’importe quel quidam. Cependant, jusqu’à un passé récent, l’arrière-pays montagneux vivait dans un relatif  »bonheur » écologique comme ultime compensation des  »privilèges » que la ville est censée prodiguer à ses habitants. Les habitants de la Kabylie, malgré la pauvreté du sol et le relief accidenté, vivaient en harmonie avec le milieu. Le système austère et discipliné de Tajmaât ne permettait aucun écart ou comportement délictueux qui nuirait à la collectivité. On n’avait même pas besoin de sapeurs-pompiers pour éteindre les incendies de forêts. La moindre déclaration d’une fumée suspecte mobilisait tout le village qui étouffait dans l’œuf le début d’incendie. Aujourd’hui, la dégradation des milieux physique et biologique a atteint sur nos montagnes un tel degré de dangerosité qu’aucune atermoiement ne peut être toléré dans la recherche des solutions à cette déchéance environnementale. Pratiquement, aucun ruisseau n’échappe au destin de réceptacle des eaux usées que la frénésie de la fausse modernité a imposé à notre milieu naguère pur et limpide. Que deviendra le barrage de Taksebt si des stations de traitement ne sont pas installées en son amont ? Jusqu’à quand la laideur et les remugles des décharges- incinérées in situ- d’Aït Sidi Ahmed, de Oued Falli et de Sidi Aïch serviront-elles de décor à la nouvelle Kabylie ? N’y a-t-il aucune solution au problème du pillage de sable du Sebaou et de la Soummam ? Que dire alors du rétrécissement en peau de chagrin du couvert forestier kabyle sinon qu’il expose les versants de ces montagnes à une désertification désastreuse qui réduira l’oxygène, anéantira le bois et les fourrages, déstabilisera dangereusement les sols et rabaissera la valeur esthétique et touristique de ses paysages ? L’une des plus belles et des plus denses forêts d’Algérie, l’Akfadou la bien nommée, assurant la jonction entre les wilayas de Tizi Ouzou et Béjaïa, est déjà touchée dans son intégrité par les défrichements et les conséquences de la situation sécuritaires de ces dernières années. Une partie de la cédraie millénaire de Tikjda est déjà réduite en cendre. Où va l’environnement en Kabylie ?

Les nouvelles assemblées élues en Kabylie en novembre dernier sont-elles capables de renverser la vapeur et de sauver ce qui peut encore l’être en travaillant pour un éco-développement durable, seul garant de l’amélioration du cadre de vie des citoyens de cette région ?

Par Amar Naït Messaoud

depeche de kabylie

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