Réflexions sur la presse algérienne

cet article fi khater Hcène. B, Journaliste de Lakhdaria


Quels pouvoirs pour le quatrième pouvoir ?

À la fin du mois d’avril dernier, le gouvernement algérien a adopté le décret portant « Régime spécifique des relations de travail dans la presse ». Heureux et, sans doute aussi, historique élan de la part des pouvoirs publics; mais il n’a rien de fortuit. Il est l’aboutissement d’un combat ininterrompu qui s’est étalé sur presque deux décennies. La corporation des journalistes n’a, en effet, jamais cessé de brocarder l’ancien Code de l’information affublé du peu glorieux titre de code pénal-bis.

Ce n’est pas exclusivement l’appel lancé par le SNJ sous forme de placard publicitaire en direction des candidats aux dernières élections législatives qui a décidé les pouvoirs publics à élaborer un statut pour les journalistes algériens. L’histoire du combat pour une presse libre en Algérie, le degré de maturation des luttes sociales et politiques ainsi que le climat international militent imparablement pour une vison moderne de l’information et l’établissement des normes et règles de sa réalisation. « Être le grain de sable que les plus lourds engins, écrasant tout sur leur passage, ne réussissent pas à briser », comme le souhaite l’intellectuel Jean-Pierre Vincent dans son ouvrage La Traversée des frontières, est le rêve et l’idéal de tous ceux qui se donnent pour vocation d’empêcher le règne de la bêtise et de l’arbitraire de s’installer ou de perdurer. Dans notre pays, l’évolution de l’histoire récente des forces sociales et politiques a fait que la presse a forcé le destin en s’essayant à son rôle de contrepouvoir, voire aussi d’interface entre gouvernants et gouvernés. Qu’elle n’ait pas atteint la pleine maturité, on peut le concéder. Il faut dire que les forces de la résistance et de la régression n’ont pas baissé la garde et les acquis sont toujours fragiles.

Des brainstormings pour un diagnostic de qualité

En 2006, Hachemi Djiar, ancien ministre de l’Information et auteur des fameux ‘’brainstormings’’, avait fait le constat des conditions d’exercice du personnel travaillant dans les rédactions des journaux algériens. D’après le responsable gouvernemental, ces conditions ne sont pas reluisantes. En effet, à l’instar des banales entreprises de travaux publics ou de génie civil nées dans la précipitation de la libéralisation économique, les entreprises de la presse privée seraient-elles aussi gagnées par l’emploi clandestin (un tiers de journalistes ne bénéficieraient pas de déclarations sociales), la sous-rémunération et une résistance maladive à la syndicalisation. N’est-ce pas un peu paradoxal que ce soit le gouvernement-que la presse n’a pas pour vocation de ménager- qui porte sur la place publique les difficultés sociales des journalistes de la presse privée ? Il est vrai que, du point de vue réglementaire et moral, les pouvoirs publics, et à leur tête le ministère du Travail, assument une grande responsabilité quant à l’application des lois sociales et des règles du travail, dans les métiers de la presse ou ailleurs ; et c’est tant mieux si, par le nouveau de statut, le ministère de l’Information arrive à bousculer le statu quo et à faire prendre leurs responsabilités aux patrons de presse. Car, qu’on ne feigne pas de l’oublier, l’avenir de la presse écrite- assiégée par la présence d’autres médias qui, par leur clinquant, offrent plus de facilité d’accès simultanément à l’information et au spectacle- dépend de la stabilité, de la compétence, de la formation continue et de l’esprit d’innovation du personnel de la rédaction.

Il est vrai que les avantages offerts par les pouvoirs publics pour les premiers titres ne seront plus de mise. Donc, tôt ou tard, les défis qu’auront à relever les titres de la presse écrite exigeront plus de compétence et plus de puissance imaginative pour pouvoir maintenir la magie de l’écrit dans le monde de l’information.

Il est évident que cela ne peut nullement se faire avec une équipe ou un personnel fragilisé, précarisé à l’extrême, au point de ne pouvoir assurer loyalement et honnêtement sa fonction. Des exemples de trivial marchandage opérés avec des citoyens désemparés par des correspondants indélicats ne manquent pas.

De petits articles de proximité relatant des problèmes particuliers d’un habitant de village ou de quartier ont été monnayés à la manière d’encarts publicitaires ou d’annonces nécrologiques.

‘’L’annonceur’’, coincé dans la bureaucratie et le clientélisme locaux, n’a pas d’autre choix pour faire entendre sa voie. La presse censée dénoncer tous les fléaux de la société se trouve ainsi parfois, par la ‘’faute’’ d’un de ses enfants égarés, engluée dans le triste et complexe écheveau de la société.

Tares et avatars de la presse ‘’unique’’

“Voici que même les journaux se mettent à dire la vérité !’’ ; c’est en ces termes que le poète Aït Menguellet s’est ironiquement exclamé en 2003 dans une de ses chansons où il imaginait l’Algérie idéale, rêvée par lui, dans laquelle la justice, le droit, la culture, la compétence et le commerce seraient florissants et seraient intériorisés comme valeurs sociales fondatrices. Le raisonnement a contrario est d’une affligeante simplicité. Il est même, pour la plupart de nos concitoyens, un truisme : les journaux ne disent pas la vérité ! Le débat mort-né timidement initié il y a quelques années ne saurait sans doute avoir lieu sans le retour à ce qui fonde l’idée même de l’information : choix de la matière et du lectorat ciblé, techniques de rédaction qui allieraient pédagogie et déontologie, pertinence du contenu informatif des journaux et place de la presse écrite dans l’univers des médias audiovisuels de plus en plus complexe et envahissant.

Si le citoyen lambda n’adhère pas entièrement à la masse d’écrits produits journellement dans nos tabloïds, c’est qu’il y a d’abord un ‘’froid’’ historique entre lui et tout ce qui rappelle les institutions, la houkouma. Par la faute d’un analphabétisme criant et d’un illettrisme insidieux, la presse privée est mise dans le même panier que l’ancienne presse publique, omnipotente et omnisciente. Une classique boutade disait, un certain moment, des journaux publics qu’ils ne changeaient que la date apposée sous leurs logos, le reste étant le même discours triomphaliste et la même vision hautaine et paternaliste. Ce serait une grande injustice et une grave entorse à la réalité de dire que la presse indépendante, issue des libertés publiques arrachées par les enfants d’octobre 1988, n’a pas fait évoluer le champ médiatique et révolutionné le rapport que l’Algérien entretient avec l’information. Cependant, le commun des Algériens voudrait sans doute savoir en quoi les puissances d’argent d’aujourd’hui ne ressembleraient pas à la toute-puissance politique du parti-Etat d’avant octobre 1988. L’espace hégémonique pris par la publicité dans certains de nos journaux a fini parfois- à de rares exceptions près qui honorent la mission dévolue à la presse- par faire d’eux des agences de réclame ambulantes. Ce grief, entendons-nous bien, n’exclut pas la possibilité d’avoir des organes périodiques spécialisés dans l’activité publicitaire. Par quel moyen pourra-t-on réconcilier le lecteur potentiel avec la presse ? Car, même si des brèches ont été ouvertes dans le mur de la pensée unique par la presse indépendante, cette dernière n’a pas, ipso facto, bonne presse. De grands efforts lui sont encore demandés pour se donner plus de lisibilité et de crédibilité auprès d’un lectorat travaillé au corps par un environnement médiatique très diversifié mais dans lequel il ne se reconnaît pas nécessairement. Lorsque des événements importants arrivant dans une contrée profonde du pays sont relégués au second plan ou carrément escamotés, et que des accidents anodins ou des histoires mondaines sont montés en épingle sur les pages de nos journaux- perversion professionnelle facilitée par l’accès facile à l’Internet et aux autres moyens technologiques d’information-, le lecteur moyen est enclin à penser qu’il demeure le laissé-pour-compte, comme il le fut à l’ère glaciale du parti unique, au moment où, à travers le monde, l’information de proximité (radio, journaux et TV) est devenue un instrument précieux et stratégique participant au développement local et à la formation de l’opinion et de la citoyenneté.

Courageuses avancées et dommageables clivages

Mais que peut représenter encore la presse dans une société bouleversée par des mutations aussi rapides que profondes et tiraillée par un environnement qui happe l’attention par son clinquant et ses ersatz de ‘’modernité’’ ? La question peut paraître saugrenue dans un pays qui met sur les étalages des buralistes environ une trentaine de quotidiens chaque matin. Cette floraison de titres que nous envient plusieurs pays ayant à peu près le même poids politique et économique que le nôtre est-elle un gage de liberté d’expression, une preuve de l’existence d’un lectorat fidèle et passionné et un signe irréfragable d’une vie politique transparente et régulière ?

L’évolution de l’importance de la presse a fait pourtant reculer beaucoup d’injustices et de tentatives liberticides. L’on ne peut plus user d’un pouvoir personnel ou d’une lubie saugrenue, réprimer les peuples, étouffer les syndicats, annihiler les libertés et ghettoïser une ethnie ou une région dans le silence le plus complet et à l’insu des regards du monde. Sur ce plan, l’accès à une presse libre est certainement une conquête citoyenne trop précieuse pour être assimilée à une simple coquetterie mondaine comme ce fut le cas dans les milieux de la bourgeoisie européenne du 18e siècle. Et les théoriciens politiques ne se sont pas trompés en qualifiant l’information de quatrième pouvoir aux côtés des trois pouvoirs classiques: politique, judiciaire et exécutif, identifiés depuis Montesquieu et John Locke.

Ayant connu une histoire à la fois houleuse et passionnante avec la presse, les Algériens n’ont pas compris l’ostracisme dont a fait preuve le gouvernement à l’endroit de cette la presse privée lorsque, en 2007, le ministre de l’Information se réunit exclusivement avec les organes publics pour leur promettre des aides de l’État de façon à mieux répercuter la voix de l’Algérie officielle. Tous ceux qui croyaient à la fin du clivage public/privé dans le domaine de la presse étaient alors sommes de revoir à la baisse leurs espérances démocratiques.

Le contre-pouvoir en question

L’ancien ministre de l’Information, M.H. Djiar, avait pris la défense du président de la République que l’on dit “offensé’’ dans un article de journal au cours de la réunion, l’année dernière, du sommet du Nepad à Alger. À cette occasion, le ministre se permit de rappeler, dans les colonnes d’El Moudjahid, les principes déontologiques qui sont censés présider au travail rédactionnel dans la presse privée. Cette “offense vient révéler à quel point l’horizon de la pensée démocratique tarde à se dégager’’, écrit le membre du gouvernement. Il en tire comme conséquence un risque pour la presse de manquer d’affirmation et de perdre toute crédibilité. Certes, aussi bien le ministre de tutelle que le reste du gouvernement ne s’attendaient à des épanchements laudateurs de la part d’une presse née dans la douleur et qui a eu son chemin de croix. N’est-ce pas là d’ailleurs une de ses missions que d’informer les lecteurs, de commenter les événements et de ‘’s’immiscer de ce qui, apparemment, ne la regarde pas’’ ? Le professionnalisme s’apprend graduellement et la déontologie fait partie d’une culture de savoir-vivre, de tolérance et de règles de bienséances. Cependant, à ce que l’on sache, l’information n’est pas qualifiée de quatrième pouvoir, depuis Montesquieu et John Locke, juste pour dépasser le chiffre trois! Mieux, ou pire encore (c’est selon l’angle de vue), la presse, au même titre que les organisations autonomes de la société civile (ligue des droits de l’homme, syndicats, association professionnelles, sociales et même culturelles), constitue-lorsqu’elle n’est pas happée par les connivences mafieuses et les indignes allégeances- un véritable contre-pouvoir vécu dans les grandes démocraties du monde comme un “amortisseur’’ des élans autoritaristes, un avertisseur aux princes et un formateur d’opinion. C’est Napoléon qui se plaignait, au 19e siècle déjà, à Metternich en ces termes : « Je ne me chargerai pas de gouverner trois mois avec la liberté de la presse ».

Elle ne doit servir ni d’alibi démocratique ni de défouloir ou cracheur de feu oppositionniste « Le jour où le “Figaro’’ et l’“Immonde’’ me soutiendraient, je considérerai que c’est une catastrophe nationale », disait le général de Gaulle.

Quête de professionnalisme

L’Algérie a, dans la logique du l’unicité de la pensée instaurée dès l’Indépendance, subi la loi de la censure dans le domaine de la presse comme dans tout le reste de la sphère de la vie publique. Pourtant, dans les moments d’adversité du Mouvement national et de la guerre de Libération, des plumes algériennes de divers horizons ont honoré le métier de presse dans notre pays. Kateb Yacine, Bachir Hadj Ali, Abdelkader Safir et tant d’autres ont préfiguré les énergies qui allaient prendre en charge le secteur de la presse écrite après l’Indépendance. Ahmed Bouda, Zhor Zerrari, Anna Greki, Mohamed Harbi, Bachir Rezoug, Ahmed Belaïd …furent les pionniers de la presse de l’Algérie indépendante. L’expérience fut de courte durée puisqu’elle prendra fin dès les premières années de l’Indépendance. L’acte final se fut déroulé la nuit du 18 au 19 juin 1965 lorsque les soldats arrêtèrent le tirage du journal “Alger-Républicain’’. La traversée du désert avait duré un quart de siècle, une période pendant laquelle les libertés furent brimées et la presse muselée. Comme sous tous les régimes des “Démocraties populaires’’, nous n’avions droit qu’à une presse gouvernementale qui répercute et amplifie la voix de son maître dans une inénarrable et débile propagande. Ce sont les cris de désespoir des enfants d’octobre 1988 qui allaient ouvrir une brèche dans le mur de la dictature et de l’arbitraire pour annoncer le printemps de la presse algérienne. L’aventure intellectuelle ne pouvait aller sans accroc d’autant plus que, moins de deux ans après son lancement, cette presse sera la cible d’une autre agression autrement plus destructrice : le terrorisme. Tout ne peut pas parfait, bien entendu. Le Code de l’information, puis certaines clauses ajoutées au Code pénal, ont essayé de contenir quelque peu la liberté de la presse dans les limites circonscrites par les pouvoirs publics. Mais, dix-sept ans d’exercice (ponctués par la parenthèse terroriste) ne sont sans doute pas suffisants pour déclarer la maturité de la presse algérienne. L’apprentissage et la professionnalisation continuent pour que celle-ci rompe avec le nihilisme destructeur et le panégyrique à tout va. Avec la société civile, le monde universitaire, les syndicats et les organisations politiques, la presse constitue un contre-pouvoir à même de participer au développement général du pays et est capable d’asseoir une efficace pédagogie de la citoyenneté. Si une de ces parties ou le pouvoir en place venaient à voir dans la presse un ennemi à réduire au silence, c’est que le pari ne serait pas encore gagné. Et c’est justement ce conclave permanent et ce combat perpétuel qui rendent ce métier encore plus exaltant, plus méritoire et, pour tout dire, plus noble.

Un statut pour les journalistes

L’on n’a pas encore décortiqué ou trop commenté le  » Régime spécifique des relations de travail dans la presse  » que le département de l’Information a mis en place en automne 2008. Cependant, tous les acteurs concernés par une telle législation ont acquis la conviction qu’il était temps que, à l’instar des autres corps de métier dont les personnels sont régis par des statuts et des règlements précis, que la presse aussi dote ses employés de la rédaction d’un statut clair qui n’obéirait qu’aux normes du professionnalisme et aux lois sociales relatives au monde du travail. Ce rappel, même s’il tombe sous le sens, n’en a pas moins besoin d’être remis au goût du jour en 2006 par deux ministres directement concernés par cette activité : le ministre de l’Information et le ministre du Travail. « Le statut du journaliste sera élaboré sur des bases professionnelles pures », précisera M. Djiar. Dix-huit ans après la promulgation du décret de Mouloud Hamrouche autorisant les anciens journalistes de la presse publique à fonder leurs propres titres-personnes morales de droit privé-, les conséquences organisationnelles et sociales de cette merveilleuse ‘’aventure intellectuelle’’ ne sont pas encore, pour rester dans les limites d’un euphémisme imposé par les circonstances, correctement prises en charges. C’est, en tout cas, le message qu’a voulu transmettre un groupe de journalistes qui, l’année dernière, avait lancé un “Manifeste pour les droits des journalistes algériens’’ dans lequel les signataires déploraient les conditions de travail dans lesquelles il accomplissent leur mission : faible rémunération, défaut de déclaration aux assurances,…etc. 30 % de ces personnels exerceraient au noir d’après les révélations du Manifeste qui s’appuient sur des confirmations du… ministère du Travail. Ayant pour la plupart élu domicile dans la Maison de la presse Tahar-Djaout depuis le début des années 1990, les organes de presse privée, hormis les actionnaires et les quelques rédacteurs issus des organes publics, ont généralement recouru à de jeunes universitaires fraîchement diplômés dans les sciences de la Communication et en même temps à d’autres personnes issues de divers horizons professionnels (enseignants, licenciés en lettres et sciences humaines et mêmes des ingénieurs gagnés par la passion de l’écriture journalistique). Ces ‘’auxiliaires’’ ont surtout rendu de précieux services à nos journaux en faisant fonction de correspondants régionaux dans les chefs-lieux de wilayas ou dans des villages ou bourgades éloignés. Dans ce cas précis, l’ ‘’aventure intellectuelle’’ prend tout le sens que lui reconnaissent l’exercice d’un métier noble mais aux risques multipliés par la situation politique du pays, d’une part- quelques années plus tard, l’appréhension sera malheureusement justifiée par les exactions terroristes et les pressions des pouvoirs publics-et, d’autre part, la passion d’une profession qui, tout en étant soumise aux mêmes aléas sociaux et ergonomiques que le reste des métiers, s’en distingue nettement par ses rôles pédagogique et politique.

Formation universitaire et formation continue

La qualité de la formation universitaire assurée au niveau de l’Institut de la communication et qui n’échappe malheureusement pas à la médiocrité générale dans laquelle baignent nos institutions éducatives. L’on n’a probablement jamais pensé à recenser le nombre de diplômés en sciences de la communication qui se trouvent dans une situation de chômage chronique ou qui ont opté pour de ‘’petits métiers’’ généralement très éloignés de l’objet de leur formation. Cela se passe au moment où des rédactions souffrent d’un déficit en rédacteurs ou en correspondants locaux.

Les gestionnaires des entreprises de presse sont confrontés à une dure réalité qui fait que les lacunes de la formation ne se limitent pas aux difficultés de langue ou d’expression- l’ersatz de faux bilinguisme a fait des ravages chez les étudiants des Sciences humaines et de la Communication-, mais, plus grave, vont au-delà et touchent plusieurs domaines de la culture générale nécessaires au métier de journaliste : histoire, géographie, sociologie, économie,…etc. Cela tombe sous le sens que le professionnalisme commence d’abord par la maîtrise des éléments constitutifs de la discipline avant d’ambitionner de se donner des outils déontologiques qui consacreront la mise en pratique loyale et civilisée du pouvoir de la communication. Les journalistes font souvent face à une stupide rétention de l’information par les structures publiques- et même privées- sollicitées. À cela, s’ajoute la formation générale et universitaire du journaliste qui, le plus souvent, ne le prédispose pas à traiter efficacement et d’une manière intelligible et pédagogique l’information statistique. Dans la plupart des cas, cette dernière n’est pas donnée en chiffre absolue (information brute), mais translatée en moyenne pondérée, ratios, graphes en courbes, taux de corrélation,…etc. Pour pouvoir décrypter ces outils et surtout pour leur donner un sens pratique qui sera matérialisé, dans l’article de presse, par des mots ou d’autres chiffres plus simplifiés ou plus accessibles au lecteur, il faut, avouons-le, un minimum de formation en la matière. Il faut dire aussi que les publications périodiques et les journaux spécialisés dans le domaine, capables de vulgariser des concepts et des outils statistiques, commencent à peine connaître les faveurs des lecteurs. Certains quotidiens nationaux ont même créé leur supplément économique pour combler un tant soit peu le déficit en information économique. Il va sans dire que les statistiques, inventaires et recensements ne suffisent pas, à eux seuls, à instaurer la cohérence et l’appréhension globale du sujet traité. La connaissance de la géographie humaine, du droit commercial, du droit des entreprises, du code des investissements et d’autres législations spécifiques s’avère parfois d’un précieux secours. Bref, outre une formation universitaire qui devrait revoir ses ambitions à la hausse, les jeunes praticiens de l’information sont plus que jamais appelés à s’inscrire dans une dynamique de formation continue qui peut revêtir plusieurs formes : formation à la carte dans des centres ou instituts spécialisés, dans des entreprises industrielles, au niveau de l’administration (fonction publique), participation à des circuits touristiques,…En tout cas, la nécessité du journalisme spécialisé, prise en charge dans les pays développés depuis longtemps, se fera sentir dans notre pays au fur et à mesure de la formation du lectorat –qui développera ses exigences propres- et de la complexité/diversité de l’actualité appelée à être traitée par le journaliste (nouvelles spécialités judiciaires versées dans la bioéthique, les arbitrages économiques ; les défis écologiques, les nouvelles technologies de l’information,…).

Au cœur de la société

En somme, beaucoup de facteurs concourent pour rendre l’information économique et sociale « inaccessible, non fiable et non exploitable », pour reprendre les durs constats du Conseil national économique et social. Le problème réside aussi bien dans les services “producteurs’’ de chiffres que chez les instances et personnes (journalistes) chargées de l’exploitation des données. Sur ce chapitre bien épineux, le CNES a tiré, au printemps dernier, la sonnette d’alarme et parle de la nécessité d’établir « une véritable économie de l’information, sous-tendue par des préoccupations d’efficacité économique et de veille stratégique et technologique ». C’est pourquoi il propose la reconnaissance de l’information comme « ressource de valeur » et appelle les pouvoirs publics à procéder à un bilan exhaustif de ce secteur stratégique pour en améliorer la gestion et les performances. Politiquement, quelle que soit son obédience politique ou sa ligne idéologique, un journal animé par l’esprit professionnel- qui lui ouvre l’horizon et l’immerge dans le corps complexe de la société-saura toujours développer une certaine pédagogie, faire la part des choses et assurer une mission de service public. La relation entre la presse et le pouvoir politique ne se sont malheureusement pas caractérisées par une complémentarité qui ferait de la seconde le bienvenu contre-poids du premier. Ils se sont regardés en chiens de faïence jusqu’à en arriver parfois à des situations d’extrême tension. Il faut dire que ce manque de sérénité n’est pas uniquement dû à une supposée volonté des autorités de “museler’’ la presse. Le déficit en formation a aussi beaucoup pesé dans cette crispation dommageable à tout le monde. L’ancien ministre de l’Information l’a rappelé quelques semaines après sa prise de fonction et a, à l’occasion, annoncé des mesures de soutien de l’État dans le volet formation. Il est clair que les notions de statut et de formation sont intimement liées. Le couronnement en est sans aucun doute un Code déontologique qui devrait supplanter les coercitions de l’ancien Code de l’information- aggravées par le recours au Code pénal- et qui pourrait donner ses lettres de noblesse à un secteur qui ne se consolera cependant jamais du retard pris dans l’ouverture du champ audiovisuel à l’investissement privé, champ figé comme une statue gardienne des temples bureaucratiques.

Amar Naït Messaoud

iguerifri@yahoo.fr

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